PEINTURE CORPS / FIGURES HUMAINES de PHILIPPE LOUGUET

PEINTURE CORPS / FIGURES HUMAINES

PHILIPPE LOUGUET

14 mars 2022 – 13 mai 2022

 

Vernissage : vendredi 25 mars 2022 à partir de 18h30

Animation avec l’artiste : vendredi 29 avril 2022 à 18h30,  Suite poétique de l’artiste accompagné par les musiciens de HUTNP

 

Quelques mots de l’artiste :

Peindre

Je me suis souvent demandé s’il était encore possible de peindre… si ce n’était pas définitivement dépassé… si tout n’avait pas déjà été fait.. à chaque fois, sans vraiment le vouloir, j’ai répondu par la peinture. Ce doit être ma vérité envers et contre tout…

On me dit souvent que ma peinture est dérangeante. En réalité, l’art moderne est fréquemment dérangeant depuis au moins Van Gogh, dont j’ai lu les lettres à son frère Théo quand j’avais quinze ans. C’est même ce qui le distingue le plus de l’art classique. Je me reconnais pleinement dans l’art moderne, même si pour certains tenants de l’art contemporain, cela peut désormais paraître désuet. S’il est vrai que je peux déranger, je ne cherche jamais à provoquer. Si l’art moderne est dérangeant, c’est parce qu’il évoque sans cesse des questions existentielles, c’est le propre de ma peinture parce que c’est ce que je vis au quotidien.

Même dans ce que je reconnais comme étant passionnant en peinture, il y a des artistes très différents. Certains cultivent la sagesse, comme Soulage que j’admire. D’autres à l’inverse sont des aventuriers. Pour des raisons que j’ignore, je ne supporte pas l’idée même de la sagesse. Être sage me paraît pour moi-même être l’attitude la plus folle. Je me définis donc comme pas sage, et je me considère toujours comme étant de passage (la pensée lacanienne repose comme on le voit sur le calembour). N’être pas sage, c’est chercher indéfiniment sans savoir même ce que l’on cherche. De ce point de vue je me sens plus proche de Picasso. Mais lui disait, dans une phrase restée célèbre : « je ne cherche pas, je trouve ! ». Je crois que comme lui je cherche une expression, mais je ne suis jamais certain de trouver. Je suis un peintre de l’intranquillité.

 

Composition / non-composition

Dans un texte lumineux (L’écriture et l’expérience des limites) Philippe Sollers dit qu’Antonin Artaud a vécu le trajet entier du moi nerveux (Je cite de mémoire. Ne m’en veuillez pas si ce n’est pas tout à fait exact). Il fait référence au « Pèse nerfs », ce texte incroyable écrit en 1925, dans lequel Artaud se fait le défenseur virulent de ce que Sollers nomme «l’état d’avant le langage »,en précisant que cet «avant » n’est pas temporel: c’est dans l’immédiat qu’il existe un état permanent d’avant le langage. Selon moi cet état d’avant le langage est le moteur essentiel de la peinture. Ce n’est pas essentiellement au travers de la pensée que l’on peint. Les concepts s’ils sont présents ont ici peu de place. C’est surtout au travers du moi nerveux que l’on peint, Et la peinture s’adresse également directement au moi nerveux. Cette quête de l’expression du moi nerveux est difficile. Certains se servent de la composition comme moyen d’inscrire les éléments factuels de cette expression, tels Francis Bacon ou Gérard Garouste. D’autres veulent atteindre directement cette expression sans aucun détour, c’est le cas de Vincent Van Gogh. Ce qui différencie Van Gogh de Paul Gauguin c’est précisément cette question de la composition. Van Gogh ne compose pas il peint directement. Sans que j’y réussisse jamais, ma quête en peinture est de cet ordre là. Je tente par tous les moyens détournés d’éviter la composition, de ne jamais recourir au concept. Cela réussit rarement et lorsque j’ai besoin du motif je sais que je suis au bord de l’échec. La peinture comme expression du trajet du moi nerveux doit dans l’absolu éviter tout artifice, tout motif, tout système composé. C’est à cela que je veux tendre, à la pure peinture. Jean Dubuffet nous dit: « De la boue seulement suffit … s’il s’agit vraiment de peindre et non colorier des foulards »… Mais parfois, surtout pris par l’actualité, il m’arrive de composer…

 

LE CHRIST D’ISSENHEIM

J’ai été architecte pendant 40 ans, mais la peinture fait partie de mon quotidien depuis toujours.

Depuis l’âge de six ans, je suis fasciné par le retable d’Issenheim de Grünewald (ce polyptyque exceptionnel est aujourd’hui au musée Unterlinden de Colmar, en Alsace). En particulier, la figure du Christ en croix, particulièrement expressive dans ce retable, me hante.

En 2012, une année particulièrement difficile pour moi, j’ai décidé de célébrer ce monument de l’art sacré. Peu de temps auparavant, j’étais allé au musée Kolumba de Cologne (Allemagne), dédié à l’art de toutes les religions, où j’ai découvert des variations contemporaines réalisées par un artiste, à l’encre sur papier, à partir de l’Eve d’Autun (sculptée par Gislebertus au XIIème siècle). J’ai repris la même méthode pour produire une trentaine d’encres du corps du Christ, à partir desquelles j’ai réalisé trois peintures au mastic et à l’encre sur papier, marouflé sur bois. J’ai beaucoup travaillé sur l’enfouissement, sans doute parce que la survie passe parfois par l’enfouissement (comme on a pu le voir lors du génocide rwandais, qui m’a beaucoup marqué. Pour moi il y a une peinture d’après le Rwanda, comme pour d’autres il y a une peinture d’après les camps). Mais l’enfouissement, c’est aussi ce qui sourd dans l’ombre, à l’opposé de la lumière qui fonde la peinture. Il s’agit là d’un paradoxe fondateur qui selon moi résonne avec l’histoire du Christ abandonné de tous (c’est en tout cas l’interprétation de la crucifixion dans l’église de Saint André Quirinal à Rome, où le Christ en croix est enfoncé dans l’ombre d’une alcôve.

 

Ici, la figure du Christ fait l’objet d’une lutte entre la forme et l’informe. Cette lutte se joue dans l’alternance de couches de mastic (la forme) et de couches de peinture acrylique (l’informe). Cette lutte est ascensionnelle, comme si l’affaissement du corps du Christ dans la mort était contrebalancée par l’élévation de la peinture. Ainsi, dans la partie inférieure, une seule couche de mastic lutte avec une couche de peinture, puis progressivement cela s’épaissit jusqu’à quatorze couches de mastic et de peinture alternées au droit du visage, meurtri par des pointes (hampes de pinceaux au niveau du crâne, clous au niveau des yeux). Le triplement des figures du Christ est une évocation de la trinité. Il m’aurait été difficile de n’en faire qu’un, car alors ç’aurait été mettre le Christ en croix sur un piédestal, comme parfois à l’époque baroque, à contrario de ce que je voulais exprimer.

 

Pendant longtemps la peinture a été pour moi une lutte entre matériel et immatériel, ou une révélation : qu’est ce que la peinture, matérielle , révèle de l’immatériel. Ce faisant, je me situais dans la tradition du débat sur les rapports du corps et de l’âme: « Le corps est la prison de l’âme» (Michel-Ange), «L’oeil, appelé fenêtre de l’âme, est la principale voie par où notre intellect peut apprécier pleinement et magnifiquement l’œuvre infinie de la nature» (Léonard de Vinci), « … la vue fait demeurer l’âme contente dans la prison du corps, grâce aux yeux…» (Rainer Maria Rilke), on pourrait également citer Merleau-Ponty, « l’œil et l’esprit », qui récapitule tout le débat.

Galerie photos